Pourquoi la Data Science et le Big Data sont des moyens efficaces de lutter contre les discriminations à l’embauche ?

Faire émerger les vraies raisons de la réussite, multiplier la détection des « signaux faibles » (invisibles à l’œil nu), révéler mieux et davantage les talents atypiques : l’analytics et le big data dans l’accès à l’emploi sont un levier fiable pour éviter le clonage.

Le point de vue de Benoît Binachon, fondateur du cabinet de recrutement Uman Partners et ancien fondateur et dirigeant d’une société de data science (effiScience).

L’esprit humain a tendance à provoquer le clonage. D’abord pour des raisons psychologiques (c’est rassurant), mais également par manque de capacité de croiser et trier pertinemment les données réellement prédictives de la réussite.

Le Big Data* est aujourd’hui une opportunité de choix pour élargir le sourcing traditionnel, ouvrir le champ des possibles et par là-même lutter contre les discriminations à l’embauche. Avec des données réellement parlantes, des modèles pertinents, cette approche est en effet un moyen fiable de découvrir des profils de succès que l’esprit humain n’avait et n’aurait que rarement détectés, et de les multiplier. C’est donc donner plus fréquemment et facilement leur chance à des profils atypiques !

Il y a déjà beaucoup d’articles à la gloire du Big Data… Je vous propose ici de regarder plus attentivement comment cela fonctionne concrètement.

Qu’y a-t- il de très nouveau dans l’accès à l’emploi par le « big data » ?

Les algorithmes d’analyse sont parfois anciens. Depuis plus de 40 ans, les Nord-Américains en particulier ont conçu des outils de prédiction de la réussite d’un individu dans son futur poste en fonction de ses compétences de leadership et des caractéristiques de l’entreprise et du poste. La nouveauté dans l’accès à l’emploi par le « big data » est sans aucun doute la prédiction de la réussite d’un talent dans son futur poste réalisée à partir des nouvelles données du web. L’apparition des réseaux sociaux, et autres espaces où les Talents s’expriment et se décrivent, ont en effet permis d’accéder à une très grande quantité de données disponibles relative à des individus dans leur environnement de travail.

Qu’y a-t- il de très nouveau dans l’accès à l’emploi par le « big data » ?

Levons une 1ère idée préconçue : aucune analyse digne de ce nom ne conduirait à déclarer « qu’en France il faut recruter un homme, diplômé de Polytechnique, de moins de 40 ans, pour maximiser la réussite dans un poste donné ». En effet tout bon analyste aura détecté des auto-corrélations entre les facteurs considérés dans cette assertion, et la réussite (ce que l’on cherche à expliquer). Il les aura donc supprimés de sa base de données permettant l’analyse. Autre façon de le dire : « on sait déjà que cette catégorie réussit mieux en moyenne que les autres, mais ce qui nous intéresse ce sont les réalités plus complexes cachées en dessous de ces facteurs là ». Autrement dit encore : « une bonne analyse ne confond pas les causes et les effets ».

2ème idée préconçue : aucune analyse sérieuse de la réussite d’un Talent ne fera des erreurs pour la raison que les données d’entrée sont imprécises voire fausses. En effet, l’analytics sait mesurer « le bruit », le taux d’erreur ou de fausse déclaration, et ainsi allouer à ses résultats un indicateur de fiabilité (voire démontrer qu’ils sont non significatifs). Pour que l’analyse ne détecte pas le bruit, il faudrait que le bruit soit cohérent. Ce qui est impossible.

Une fois ces deux écueils écartés, on comprend l’émergence imminente d’applications « big data » pour l’accès à l’emploi. On en déduira aussi que tout travaux analytics (quel que soit le domaine) nécessitent la participation et la forte implication de gens de métiers.

Exemple parlant du Big Data comme aide à la décision de recruter un talent :

A partir des profils LinkedIn de Talents expérimentés d’un métier donné, pour une catégorie de société homogène, et grâce à des algorithmes de text mining, on peut construire une base de données reliant toutes les caractéristiques des Talents, y compris leurs compétences déclarées, leur nombre d’« endorsments », et une caractérisation de leur progression de carrière (des algorithmes de text mining, là encore, peuvent lire le profil et qualifier sa réussite).

A partir de cette base, on peut calculer une classification prédictive et prescriptive de la réussite d’un Talent dans son futur poste ; ou des règles explicatives de cette même réussite. La granulométrie des résultats dépend de la valeur prédictive et explicative des données (elle est peut-être assez faible si les données sont bruitées parce que les profils sont mal renseignés ; elle peut être fine si la majorité des Talents en question sont transparents et précis quant à leur profils, et que leurs « endorsments » sont plutôt représentatifs).

Comment un « recruteur » peut se servir de ces résultats ? En testant par le modèle prédictif le profil LinkedIn d’un candidat qui se présenterait pour un poste. Et/ou en examinant, grâce au modèle explicatif, les causes pour lesquelles ce candidat est adapté au poste : il a suffisamment changé de poste + il est multi-secteur + sa dernière expérience est dans une société de taille moyenne + …

Quels risques, quelles opportunités pour les recruteurs ?

Bien sûr, si indéfiniment on continue à « appliquer le modèle », même ces profils atypiques deviendront classiques : on fera des clones (on y revient !). Alors oui, il faut aussi laisser l’innovation, la créativité et la prise de risque générer des nouvelles situations, qui généreront des échecs et des succès, nouvelles opportunités émergentes. Ce cycle est déjà courant dans d’autres applications de l’analytics (dans le marketing, le manufacturing, …).

L’analytics et le big data dans l’accès à l’emploi comme dans toutes les autres disciplines doit donc être introduit avec beaucoup de rigueur, de professionnalisme et de recul ; il n’y pas de place pour les apprentis sorciers. RH, cabinets, administrations… doivent faire appel aux meilleurs professionnels et collaborer très étroitement avec eux pour construire des approches pertinentes.

Benoît Binachon – Uman Partners – Executive Search For Data Driven Functions

Voir l’interview Pourquoi l’analytics et le big data sont un moyen efficace de lutter contre les discriminations à l’embauche sur RHAdvisor.

* Le « big data » englobe deux thèmes fortement liés :

– la gestion d’une très grande quantité de données disponibles (quantitatives mais aussi textuelles)

– leur analyse par des algorithmes plus ou moins sophistiqués (de la statistique et des modèles – qui décrivent des lois – à l’Intelligence Artificielle – qui découvre des faits sans forcément les avoir recherchés, sans forcément les expliquer).

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